Le 8 septembre 1890, l’Institution Saint-Louis de Gonzague ouvrait ses portes. 132 élèves au début. En janvier, l’effectif sera presque doublé. Au pensionnat, 35 internes.
Saint-Louis fonctionne avec dix classes, de la Douzième à la Quatrième. La troisième sera ouverte en 1893, la Seconde en 1894 et la Rhétorique en 1896.
Des 1895, l’Institution participe aux concours organisés par le Département de l’Instruction Publique. Puis elle se présente au baccalauréat à partir de sa création dans le pays, en 1910. Elle ne tarde pas à remporter de brillants succès. C’est ainsi qu’en 1912, sur les cinq candidats reçus aux examens officiels, Saint-Louis en compte quatre. Depuis, lors, l’Institution a maintenu le même pourcentage, variant de 80 à 90 % généralement et même atteignant le 100 pour 100, au baccalauréat, en première et en deuxième partie.
A l’origine, les élèves de l’Institution portaient, le dimanche et pour les sorties en corps, un uniforme ainsi constitué : veston voir, petit gilet, pantalon blanc et casquette au sigle S.L. Avec le temps, cet uniforme s’est allégé d’abord, puis a finalement disparu.
Le règlement qui devait régir Saint-Louis pendant des décades et sans qu’on osât y toucher, fut préparé par le sous-directeur du Frère Odile, le Frère Joseph-Hermann.
Les effectifs de Saint-Louis ne cessèrent d’augmenter les premières années qui suivirent sa fondation. Qu’on s’en rapporte au tableau suivant :
1890 – 1891 132 élèves, dont 18 internes
1891 – 1892 250 élèves, dont 35 internes
1892 – 1893 253 élèves, dont 40 internes
1893 – 1894 330 élèves, dont 58 internes
1894 – 1895 375 élèves, dont 58 internes
1895 – 1896 390 élèves, dont 83 internes.
A quelque chose malheur est bon. Des 1894, l’Institution recevait de la Martique le Frère Etienne-Marie et en 1896 le Frère Evergilde, anciens professeurs du secondaire à notre collègue de Fort-de-France, que la persécution religieuse du gouvernement français venait de chasser. Ils assurèrent les cours dans les classes de Seconde et de Première avec le Frère David, un ouvrier de la première heure…
Les frères Archanges et Ferdinand-Pierre arrivèrent à temps de Ploërmel pour assurer la relève. Le Frère Evergilde avait du rentrer en France et le Frère Etienne-Marie, frappé de paralysie, s’il n’en continua pas moins à donner des cours, d’abord en classe, où des confrères le portaient, puis dans sa chambre, mourait en 1903.
Le Frère Constantin, chassé du Sénégal par la persécution religieuse comme ses confrères de la Martinique, arriva en 1904, à Saint-Louis prêter ses services. Il était membre du Comité Météorologique International et des sociétés astronomiques et météorologiques de Frances. Il érigea, l’année même de son arrivée, un observatoire à l’institution. Le Frère Constantin publia dans le journal Le Soir puis dans le Nouvelliste son bulletin quotidien d’observation. La société astronomique et météorologique qu’il fonda et dont il fut le président fut approuvé par le Gouvernement haïtien.
Du nombre des Pionniers de l’Institution, il convient aussi de détacher le Frère Pierre-Édouard. Il débarqua en Haïti en 1892. Il montera de classe en classe avec ses élèves de la Douzième à la Seconde. En 1902, il est nommé Sous-directeur de la Maison. Puis, tout étant professeur de lettres en Première, il cumulera les fonctions de préfet des études et de préfet de discipline. Dans cette dernière fonction, il fit preuve d’un ascendant extraordinaire sur les élèves. Il n’avait qu’à paraître pour calmer aussitôt la moindre surexcitation sur la cour.
Il mourut en 1908, d’une bilieuse, malgré tous les soins dont l’entoura son grand ami, le Dr Destouches. Ses funérailles furent un vrai triomphe :
Le cercueil disparaissait sous les couronnes et les fleurs.
Le Frère Ernest-Louis qui vit disparaître le Frère Pierre-Édouard devait un jour lui succéder. A plusieurs reprises, il sera charge de la préfecture de discipline. A ce poste, grâce à son autorité naturelle, à son sens parfait de la surveillance, à sa justice, en même temps qu’à sa réputation de savant. Il a conservé et augmenté même le renom de l’Institution qui doit en partie à sa discipline remarquable le crédit dont elle jouit près des familles.
Le Gouvernement haïtien n’a jamais cessé, depuis les tous premiers débuts de l’Institution, de lui témoigner son admiration et ses encouragements. Le 21 Juin 1892, le général Darius Hippolyte, Frère du Président, honora de sa présence la fête patronale de l’Institution. Après la messe en la chapelle du ‘’Théâtre’’, le Supérieur lui fit visiter l’établissement. La gazette parlementaire relata l’évènement, mais surtout souligna le bon ordre et la discipline de Saint-Louis ainsi que la qualité de son enseignement : “Persuadés que la crainte de Dieu est le commencement de la sagesse, les Frères habituent de bonne heure les jeunes gens aux pratiques religieuses.(…) Le programme de sciences et de mathématiques n’est autre que celui du baccalauréat français, de sorte que la jeunesse d’Haïti puisse trouver dans le pays une instruction que l’on s’obstine encore d’aller chercher à grands frais dans les pays étrangers, bien souvent, hélas ! Aux dépens de la santé et de la moralité des jeunes trop éloignés de leurs familles.’’
Un autre fait significatif se rapportant à l’estime de la portée par le Gouvernement à l’œuvre des Frères de Saint-Louis : le jour de la distribution des prix de l’année scolaire 1905-1906, le Sénat ne put siéger, vu que presque tous les sénateurs assistaient à cette grande fête de fin d’année à l’Institution, entourant Madame la Présidente et les deux aides de camps représentant le Président de la République.
Le Gouvernement français devait également témoigner son estime aux Frères de Saint-Louis, si l’on juge du moins par les nombreuses décorations dont il les a honores. Limitons-nous à faire connaître les premiers décorés :
Le Frère Hermias est fait Officier d’Académie en 1892 et Officier de l’Instruction Publique en 1894. Le Frère Odile-Joseph reçoit les palmes d’Officier d’Académie en 1897 et en 1915 celles d’officier de l’Instruction Publique, tandis que le Frère Paul de la Croix est fait Officier d’Académie. En 1921, les Frères Archange et Hippolyte-Victor sont promus l’un et l’autre Officier d’Académie.
Le Gouvernement haïtien, pour revenir à lui, a de même décoré un bon nombre de Frère de Saint Louis de Gonzague, soit de l’Ordre de l’Education Nationale, soit de l’Ordre Honneur et Mérite, du grade de Chevalier, a celui de Grand Croix.
Les autorités ecclésiastiques, de leur cote, se montrèrent favorables à l’ouverture d’une Institution secondaire par les Frères et encouragèrent l’oeuvre aux diverses étapes de son évolution. Mgr Tonti, Archevêque de Port-au-Prince, épaula de tout son crédit le Frère Hermias, a la fondation de Saint-Louis de Gonzague. Mgr Morice, promu Evêque des Cayes, lui apporta, en 1893, avec sa bénédiction, toute sa bienveillance : ‘’Merci aux Frères qui m’ont procuré mes armes. Mais ce ne sont pas des armes pour les combattre…’’
Son successeur surtout, Mgr Pichon, témoignera en de nombreuses circonstances son attachement à l’Institution. En 1911, c’est sa Grandeur qui fera en la chapelle de Saint-Louis l’éloge du Père de la Mennais déclare Vénérable. Lors du centenaire de l’Institut de Frères, en 1917, c’est encore Mgr Pichon qui sera l’orateur de cet anniversaire, en présence de hautes personnalités du Gouvernement. Enfin, en 1940, année du Cinquantenaire de Saint-Louis, en la fête patronale du 21 Juin, il revenait encore à Mgr Pichon de faire le panégyrique de l’Institution. Son discours alla droit au cœur des Frères. Aujourd’hui les plus anciens du corps professoral s’en souviennent toujours avec joie….
Dans les cinquante dernières anness, les Archevêques de Port-au-Prince ont de même montre à l’occasion, avec un coefficient personnel, leur sympathie à l’œuvre des Frères de Saint-Louis de Gonzague.
Les représentants du saint Père en Haïti, depuis Mgr Benedetti (1923) jusqu’au Nonce Apostolique actuel (1979) Mgr Luigi Babrbarito, ont tous témoigné à l’Institution le plus grand intérêt et tous leurs encouragements.
L’Institution établit de bonne heure parmi ses traditions une fête qui devait être avec la Saint-Louis de Gonzague la plus solennelle de l’année scolaire, la distribution des prix. En général, la lecture du palmarès et la remise des prix étaient coupées par une séance théâtrale ou une séance de variétés.
Cependant, à partir de 1911, on choisit de jouer la grande pièce, pour donner plus d’éclat à la distribution solennelle des prix. La représentation de la pièce était donnée en soirée en cours d’année et reprise pour les prix.
Le 29 Janvier 1911 marque le premier grand succès théâtral à l’Institution, avec les deux Aveugles en lever de rideau et Le Courrier de Lyon. Les Frères Ferdinand-Pierrre avait exerce les acteurs avec patience et savoir-faire. La scène avait été montée face a l’escalier de la maison du bas de la cour (une maison en bois, en lieu et place de l’extrémité sud de la maison actuelle de la Grand Rue). On réussit à obtenir l’électricité pour la circonstance. Les spectateurs se massèrent sous les sabliers de la cour, entre lesquels on avait tendu des prélarts pour préserver l’assistance, en cas de pluie…
Ce succès fut suivi d’autres, plus éclatants encore, car le Frère Ferdinand était un metteur en scène incomparable. On lui doit la représentation de l’Aiglon, quelques semaines avant la déclaration de guerre (1er août 1914), ‘’fête des yeux, fête de l’esprit, régal littéraire et artistique…’’, celle de Gilles de Retz, le 22 juillet 1926, drame trois fois rejoue ; celle de Pour la Couronne, en collaboration avec le Frère Yves-Joseph ; celle du Courrier de Lyon a nouveau, en 1930. Des articles de journaux, tous très élogieux, ont rendu compte de ces représentations théâtrales.
Le Frère Yves-Joseph continua sur ce terrain le magnifique sillon trace par le Frère Ferdiand-Pierre, il donna en soirée, le 28 avril 1934, le drame Guillaume Tell. Le Matin ne tarit pas de louanges sur la représentation : ‘’L’interpretation de cette pièce étincelante, fortement charpentée a été admirable et a suscité une sincère émotion….’’
Sept ans plus tard, le frère Raphaël montait sa première pièce ; le Gondolier de la Mort (1945). Il présentera un Aiglon arrange en 1949 ; Un cri dans le Brouillard en 1956 ; Le Démon du Scandale a deux reprises, en 1955 et en 1968. Son plus grand succès demeure pourtant Gilles de Retz, représente en 1959.
Sans doute, la grande responsabilité des soirées théâtrales revenait-elle au metteur en scène. Mais il ne faudrait pas oublier que toute une équipe de Frères étaient de corvée pour en assurer le succès… Si le théâtre possède encore de beaux décors, l’Institution le doit en particulier au Frère Sepharin-Joseph.
A toutes les fêtes, l’on voyait paraître, de corvée comme les Frères, l’une des grandes bienfaitrices de Saint-Louis : Mademoiselle Luce Laforest. Que de costumes n’a-t-elle pas préparés pour les acteurs !… Pas de soirée sans buvette. »Ma Tante » se chargeait de la tenir. Aux kermesses, c’est toujours elle qui organisait la préparation des stands…