Quelqu’inacceptable qu’elle soit, la chose n’en est pas moins certaine. Telle une rumeur, la nouvelle a fait le tour des cercles d’amis tant d’ici que d’ailleurs. J’en connais qui sont restés muets pendant plusieurs jours. D’autres se sont fermé les yeux en signe de refus. Mais à quoi bon s’enfuit dans le rêve quand le cauchemar et la réalité se passent tour à tour la musique de l’effroyable. Quand le réel et l’imaginaire sont l’enclume et le marteau, demeurer dans le faux fuyant est une logique que l’on doit s’interdire. Faudrait-il qu’on se rende à la triste évidence. Décidément, Renaud est mort. Pépé est parti. Dyab n’est plus.
Mais, me dira-t-on, les hommes ne meurent-ils tous pas ? Et je vous dirai que ce n’est seulement la mort d’un homme que je pleurs, mais la disparition d’un bel échantillon d’humanité, un des plus beaux échantillons que ce coin de terre ait jamais produit. Renaud n’a combattu aucune guerre conventionnelle. Et pourtant, c’était un preux, un valeureux. Le temps nous manque de dresser le portrait de ce genre de héros qu’était Renaud. Ces gens, qu’ils soient hommes ou femmes, je les appelle ‘les héros du quotidien’. Ceux qui donnent à la vie son vrai sens et sa valeur. Le célèbre chansonnier populaire dirait : ‘Se yo ki fè lavi mache’.
On ne pouvait connaitre Renaud sans l’aimer. Mathématicien de son état, il ne posait pas l’équation de la vie en termes de valeurs absolues. Il leur préférait les joies simples de la vie. Propagateur de paix, Renaud a accompli un tour de force que ne peuvent même ceux qui prennent les villes et remportent de grandes victoires militaires. Il ne se mettait jamais en colère. Il souriait toujours. Fin causeur, il était l’âme du giron de tous les cercles d’amis. C’est à travers Renaud que je connais une bonne partie des histoires de la Grande Anse sans y avoir jamais mis les pieds. Apôtre du vivre ensemble, il s’inquiétait toujours des déboires de son pays dont la politique était pour lui un sujet de conversation passionnant. Il se faisait tort de trouver un dénominateur avec tous ceux qui se trouvaient sur son chemin.
Bon père, il chérissait Calolo et Joujou comme la prunelle de ses yeux.
Prince de l’amitié, il compartimentait ses amis. Ceux des frères Saint-Louis occupaient une place spéciale. Je veux parler des Allemagne, des Jantou, des Daddy, des Kalil : ceux-là, avec d’autres, étaient sacrés. Il me parlait de ses conversations avec des collègues tels que Maitre Jean-Claude, Maitre Joubert, Maitre Agénor CADET, l’actuel Ministre de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle. Ce prince de l’amitié prodiguait des largesses affectives à ses amis qui le lui rendaient bien.
A considérer le nombre de ses amis qui occupe des positions importantes, cet homme aurait pu se hisser très haut dans l’échelle sociale ou même se faire une place sur l’échiquier politique. Mais il était d’un autre genre. Il aimait ses amis pour ce qu’ils sont et non pour les avantages qu’il pouvait en tirer. Au fait, en termes d’avantages matériels, il n’en a tiré aucun. C’est avec le cœur lourd, mais aussi comme on décerne une récompense, que nous lui décernons, à titre posthume, le titre d’universitaire sans fortune.
Renaud est parti pour le chemin de toute la terre. Il restera toujours dans nos cœurs ce qu’André MALRAUX appelait ‘notre musée imaginaire’. Il est parti pour un monde meilleur, car nous rendons de lui ce témoignage que ses dernières pensées ont été pour son Seigneur à qui il avait recommandé son âme.
Pépé était en quelque sorte un incompris. On le disait mauvais gestionnaire, mais c’était mal comprendre sa philosophie de la vie. A tort ou à raison, il se croyait obligé de partager tout ce qui lui venait en mains sans se soucier du lendemain. L’image que je garde de cet incompris est ce que dépeint Charles Baudelaire dans l’Albatros: ses ailes de géant l’ont empêché de marcher.
Il a fini par se rendre à l’évidence que de toutes les options intellectuellement viables aux problèmes de l’existence humaine, la foi en Jésus Christ est de loin la meilleure, et ceci à des années-lumière.
(Comme il n’a pas su s’encombrer des biens matériels, la terre lui sera légère. Va en paix, Pépé!)
Jean Phareau DUMONT
La perte d’un éducateur émérite
Chers Membres de la Direction
Chers Amis et Collègues,
Nous avons vécu ces derniers jours le cauchemar de la perte d’un éducateur émérite, Monsieur Jean Reynod PETION, qui est parti pour la maison du Père. Ce qui nous exaspérait le plus c’est la cruauté de sa maladie qui ne lui avait laissé aucun répit, c’est la décrépitude de son corps dans une âme sainte, c’est sa crucifixion lente sur son lit de malade, son constat d’une vie d’échec face à la ténacité de rude travailleur.
Nous conservons de Monsieur Jean Reynod PETION un humour décapant qui ne le quittait jamais. Qui d’entre nous, en entrant dans la salle des profs n’avait pas le sourire aux lèvres en l’écoutant narrer une histoire insolite ? Comme il prenait bien son air convaincant pour analyser à la loupe la politicaillerie haïtienne et la cécité de nos dirigeants, relater les exploits de l’équipe de football haïtienne ou brésilienne…
Que de fois il nous relatait qu’il corrigeait ses copies à la lueur d’une bougie afin de remettre ses notes à temps, qu’il reprenait à maintes reprises une notion de mathématiques ou de physique non assimilée par quelques-uns de ses apprenants dissipés. Il a tant souffert sans se plaindre, souvent incapable d’acheter ses médicaments s’il a eu le malheur d’être malade avant le dépôt effectif du 20 de chaque mois.
Pourtant beaucoup d’entre nous ont fait semblant de ne pas voir la douleur de ce prof qui éprouva au plus haut point l’intérêt d’enseigner.
Il a été pour ses apprenants le prof dont ils admiraient tant le savoir, son sens de l’écoute et son indulgence. S’il savait complimenter souvent, il hésitait souvent à sévir.
Pépé, ton départ attendu et souhaité quand tu étais au paroxysme de la souffrance, nous a causé un vide indélébile. Tu as été notre élixir de détente par tes anecdotes connus de toi seul, notre source d’inspiration dans un monde où des hommes de même langage se considèrent comme famille et pourtant ne peuvent plus se comprendre sans interprète et où règne la croix sans le Christ.
Va en paix ! Que la terre te soit légère et les portes du Paradis toute grandes ouvertes pour t’accueillir dans ton vrai monde !
Me Louiné JOSEMA
Des légendes comme mon père survivent au temps!
La mort de mon père ne m’a pas été rapportée, on ne m’a pas appelé pour me l’annoncer subitement, non, je l’ai vécue. Mon père a rendu l’âme alors que nous, mon frère, trois autres amis et moi, l’aidions pour qu’il puisse faire quelques pas, car même cela lui était impossible. C’est pour vous dire qu’il est parti dans nos bras. Cela m’a tout d’abord plongé dans une profonde tristesse.
La perte de mon père m’avait anéanti et affaibli. Mais par la suite, j’ai pris son décès comme un tremplin pour me pousser à travailler davantage. En effet, comme vous le savez tous, Jean Reynold PETION était un grand homme qui avait consacré sa vie à l’éducation : l’éducation des siens ainsi que celle de nombreux autres élèves tant à Saint-Louis de Gonzague que dans diverses autres écoles de la capitale.
Professeur de mathématiques et de physique pendant plus de trente ans, il a su apporter son savoir à des milliers d’élèves et notamment les 23 promotions qu’il a formées à Saint-Louis de Gonzague. Il ne s’est jamais lassé de prononcer ces mots : ‘Ti mesye, pran etid nou oserye, se sa k’ kle lavi a.’
Je dois également vous dire que mon père était un grand fan du football, car je veux qu’on garde cette image de passionné de foot qu’il fut. Il s’adonnait souvent à des débats autour du foot avec ses élèves ainsi que ses collègues et des amis du quartier, grand fan du Brésil et du Real Madrid qu’il était.
Un autre sujet qui le passionnait également était la politique.
Toute personne qui, pendant une période, a pu côtoyer mon cher papa, a forcément gardé l’une ou l’autre de ses phrases légendaires ; son fameux : ‘Non tonton, rete, tchuiiiip… !’ (pardonnez-moi l’expression). Il ne cachait jamais sa frustration quant à l’impertinence, la turbulence ou l’ignorance d’un élève face à des casse-têtes en physique ou en maths qui pourtant lui était un simple BEABA.
Jamais je ne pourrais résumer en quelques lignes la vie riche que mon père a vécue. Il y aurait beaucoup à dire. Mais je voudrais conclure en vous disant ceci : seuls les simples hommes meurent, mais des légendes comme mon père survivent au temps, car ils restent à jamais gravés dans nos mémoires.
Je vous remercie !
Jerry PETION, son fils, élève de Terminale Bleue